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L'Herbe Folle
21 mars 2011

Crabahuteuse de choc, l'interview

benardeau

- Hélène, présentez-vous librement pour les lecteurs de l'Herbe Folle :

Je suis une femme de 41 ans, divorcée, maman de deux garçons de 14 et 15 ans. J'enseigne la langue de Cervantès en lycée et BTS (quand j'ai la chance de pouvoir travailler!). Je suis une "rurale", amoureuse de la terre et du fleuve qui glisse sous mes fenêtres, la Loire. Je suis atteinte du syndrome de Don Quichottisme, et même si j'essaie de me soigner, je commence à croire que cette pathologie là est décidément incurable!

- En quelques mots, quel à été votre parcours thérapeutique, que vous est-il arrivé ?

En 2002, j'ai 32 ans. On me diagnostique un cancer du sein suite à l'apparition d'un nodule suspect. (Grade II, hormonodépendant). S'en suivent tumorectomie, curage axillaire, chimiothérapie, radiothérapie et hormonothérapie. Début 2008, lors d'une visite de contrôle, on décèle des microcalcifications qui se révèleront être le signe d'une récidive. Mon équipe médicale doit alors procéder à l'ablation du sein. Début 2009, je choisis de bénéficier d'une reconstruction mammaire par lambeau du grand dorsal. L'opération est très réussie, mais lors de l'intubation, le nerf récurent est malheureusement touché et je perds ma voix durant plus de six mois. Je réussis, grâce à mon orthophoniste, à retrouver mon "outil de travail" en septembre 2009. En octobre 2009, mon chirurgien-plasticien procède à la dernière opération liée à la reconstruction. En décembre 2009, apparition d'un nodule axillaire côté opéré. Les contrôles concluront à une deuxième récidive (grade III). Le protocole de soins débutera par l'ablation de toute la reconstruction, d'un évidement axillaire, suivis d'une chimiothérapie, de séances de radiothérapie et je bénéficie actuellement d'un traitement anti-hormonal et ce, pour les 5 ans à venir.

- Qu'est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre?

Je n'ai pas écrit un livre. Fin 2009, lors de ma deuxième récidive, sachant que le silence n’est pas toujours synonyme d’indifférence mais que l’ombre de la Grande Faucheuse en tétanise plus d’un, j’ai tenu à jour le petit journal de mes tribulations de cancéreuse, que j’envoyais régulièrement par mail à mes proches et moins proches désireux d’avoir des nouvelles. Une sorte de « tout ce que vous voulez savoir sur mon crabounet sans jamais oser me le demander". Ce faisant, je déposais mes valises, parfois trop lourdes, à mesure que j’avançais, revisitant mes mésaventures de valétudinaire chronique avec dérision, sans cependant édulcorer le fond de fange qui m’entourait.

Je m’épargnais du même coup les délicats « comment ça va ? » conventionnels qui n’appellent de tous leurs voeux que les piètres « ça va ! ça va ! » des grands tartufes. En juillet 2010, à la fin de la chimiothérapie, j'ai ouvert un blog : y mettre la suite du récit de mes pérégrinations m'assurait de ne pas imposer plus avant ce sujet lourd dans le courrier de mon entourage. Ceux qui le désiraient y avait ainsi accès librement. J'ai alors profité de cet outil d'internaute pour ébaucher "le p'tit manuel de l'apprentie cancéreuse" et l'ai mis à disposition de toutes les femmes, qui, comme moi atteintes d'un cancer du sein, étaient en recherche d'informations sur leur pathologie et la kyrielle de conséquences qu'elle traîne dans son sillage. J'ai essayé d'y pointer les pièges administratifs, médicaux, physiques, moraux, professionnels qui balisent classiquement le parcours de la maladie et j'ai tenté de rassembler tous les trucs et astuces s'y rapportant glanés au cours de ces 9 dernières années. Durant ce temps de traitements, j'ai donc beaucoup lu, cherchant des sources fiables pour m'assurer du sérieux de mes informations. Et forcément, ces lectures ont alimenté une réflexion en cours que j'ai également "couchée sur le papier", sachant pertinemment que nous sommes toutes agitées par les mêmes questions, et ce, dès la détonation initiale de la consultation d'annonce. Fin janvier 2011, c'est en s'égarant sur la blogosphère que Jacques Flament, éditeur, a atterri dans ma cour de crabahuteuse. A alors germé en lui l'idée de transformer cet outil de la toile en ouvrage de papier. Il m'a contacté et grâce à son enthousiasme et son franc investissement, un mois et demi plus tard, naissait "Il est moins tard que tu ne penses".

- Que pensez-vous de la prévention et de la prise en charge des cancers en France?

Il faut bien sûr saluer toutes les initiatives qui tentent d'éradiquer l'ignorance, et les femmes françaises ont la chance de bénéficier d'un système de dépistage systématique du cancer du sein entièrement pris en charge  à partir de l'âge de cinquante ans. Ce qui me hérisse, c’est la mièvrerie de nos campagnes de prévention et  et le manque patent d’éducation dont bénéficient les français en matière de cancer. En lieu et place des nibards de stars qu’on nous a si généreusement agités sous le nez durant "Octobre Rose" (mois consacré à la prévention du cancer du sein), de l’autosatisfaction générale étalée sur les super-progrès scientifiques, sur les chimio- même-pas-mal, il me semble qu’un mois de sensibilisation aux signes symptomatiques des cancers les plus répandus, un rappel de règles basiques, des spots un peu moins "cumul la praline" seraient plus percutants et utiles. Expliquer aux p’tites et grandes nanas, que la pilule, les traitements hormonaux ménopausHic, c’est pas automatique, que contrairement au m&m’s, ça suppose un suivi gynéco ; aux femmes en général, qu’un néné qui suinte, qui rougit, qu’un mamelon qui s’indure, ça implique une consult '; à tous, qu’on n’est pas obligé de faire sa première analyse sanguine le jour de son premier infarctus, qu’une vessie qui pissent le sang ne sont pas des trucs « qui arrivent » et « qui passeront » avec le temps, que parler de ses antécédents cancéreux familiaux à son généraliste, ce n’est pas faire l’hypocondre de service, mais donner des billes à son Doc pour l’aiguiller dans sa vigilance ; etc., etc.

Ah ! bah oui ! ça implique de prononcer le mot cancer, de parler des trucs qui fâchent, de sortir quelques minutes les bien-portants du joli monde des Belles-qui-pioncent dans lequel on aime tant les plonger, mais ça ferait peut-être marcher le biiiiiisness de façon un peu plus rationnelle et ça éviterait peut-être des grades III et plus si affinités à bien des patients. Le sujet n'est pas facile à traiter. Le cancer fait déjà peur, mais j'espère sincèrement que producteurs, réalisateurs, journalistes fassent en sorte cette année que médecins et patients militants, mécontents, traumatisés, souffrants, méconnus, aient un peu plus le droit à la parole. Qu’ils aient l’envie de soulever les vérités moins doucereuses, mais si réelles dans la vie des crabahuteuses, des crabahuteurs, quels qu’ils soient... Et tout ça sans verser dans le larmoyant, l’anxiogène, le désespérant..Ok, c’est un boulot d’équilibriste, qui exige finesse, connaissances pointues et parfois insolence. Mais bon sang, il doit bien encore exister, quelque part, une poignée de journalistes français qui sachent conjuguer ces trois qualités !
Pour ce qui est de la prise en charge, c'est tout l'objet du livre. En résumé donc  : un manque évident de communication entre patients et soignants. Une prise en charge de la douleur encore trop négligée. Une application des recommandations du Plan cancer mal répartie sur le territoire et une grande disparité de la qualité de vie des patients cancéreux en fonction de leur situation géographique. Nos soignants souffrent de plus en plus de la dégradation de leur qualité de vie, de leurs conditions de travail et le patient ne peut que subir les conséquences désastreuses de cet état de fait.

- Quel regard portez-vous sur les centaines de pollutions dont nous sommes victimes au quotidien et qui sont manifestement les points de départ de nombreux cancers?

Mon regard, il se tourne vers nos politiques, qui sont concrètement les seuls aujourd'hui à pouvoir faire évoluer l'exigence des normes sanitaires existantes. Je veux bien, en tant que citoyenne, être vigilante et faire des efforts pour être sélective et attentionnée à mon mode de vie, mais très concrètement, aujourd'hui, même avec un bac+10 (et de préférence en spécialité biologique), il me paraît quasiment impossible de remplir son caddie, de marcher, de nager, de respirer sainement. Des efforts là aussi ont été faits, mais certains lobbies restent trop puissants pour qu'on arrête de marcher sur la tête.

- Vous même, avez-vous émis l'hypothèse d'un "empoisonnement" de votre corps qui aurait pu déclencher vos cancers?


Oui, mais cela n'a pas grande valeur. Je pense sincèrement que les causes du cancer sont multifactorielles et que la qualité de l'air, de l'eau ou de l'alimentation n'est pas seule responsable.

- Avez-vous changé des choses dans votre mode de vie ou de consommation ?


Au niveau de la consommation, pas grand-chose, j'ai toujours évité au maximum les plats préparés, fais mon potager tant que j'en avais l'aptitude physique et n'ai aucune envie de passer trois heures au supermarché à décortiquer chaque étiquette des produits dont j'ai besoin.
J'ai par contre modifié sensiblement mon rythme de vie (un peu par la force des choses, mais aussi par choix). Je suis moins "hyper-active" que par le passé, je pratique le Qi Cong, et prends beaucoup plus le temps du "bien-être".

- Comment avez-vous géré votre féminité dans les différentes étapes qui ont jalonné votre maladie?

La perte des attributs "classiques" de la féminité (sein, cheveux, cils, sourcils) m'ont inconsciemment poussée à y porter plus de soins. J'ai grandi en survêtement ou pantalon de cheval crotté, plus proche du look Lucky Luke que celui de poupée Barbie, mais la souffrance que représente la dégradation physique a remisé un peu mes négligences vestimentaires ou esthétiques au placard. Oh, pas de façon révolutionnaire. Je reste sur ce plan là une piètre Bécassine. Et mon petit côté Don Quichotte m'a aussi poussé à assumer pleinement ma "chauvitude" en cours de traitement. La calvitie féminine est presque un tabou, encore aujourd'hui (sans doute porteuse de trop de réminiscences douloureuses dans l'inconscient collectif).

Le regard de l'autre s'éduque. Vu que me promener tête nue m'apportait un  grand confort physique, je n'ai pas cherché à épargner les sensibilités des bien-portants. Je ne me couvrais le crâne que lorsque j'avais froid. Dans les lieux que je fréquentais régulièrement, beaucoup, au début, se dévissaient le cou pour voir la "chauve" mais petit à petit, les regards se sont faits moins appuyés. Malheureusement, nous sommes de plus en plus nombreuses à connaître cette métamorphose physique. J'ai pour ma part refusé de subir un supplice de plus sous prétexte que l'image ne sied pas à mes contemporains. La perruque, le foulard ne doivent, à mon sens, être portés que par rapport à soi. Si ce sont des subterfuges que les femmes utilisent pour se sentir mieux dans leur peau, bien entendu, il est évident qu'elles doivent y avoir recours. Mais c'est à mes yeux la seule raison valable pour avoir à supporter l'étau des foulards noués ou l'étuve irritante que représente la perruque.
Côté lingerie féminine, même si quelques entreprises se sont spécialisées sur les soucis liés à la mastectomie, force est de constater qu'il y a encore du boulot à faire pour que les amazones aient accès aux sous-vêtements glamour dont peuvent profiter leurs contemporaines.
Quand à la vie intime, aux doutes que les mutilations, métamorphoses générées par les soins font naître, je les ai géré au maximum par la parole, avec mon compagnon, très attentif et prévenant, et mes amies proches. Ce thème est fort peu abordé dans le parcours médical et c'est sans doute dommageable pour beaucoup de patientes qui restent seules face à leur questionnements.

- Quelle attitude ou remarque vous ne supportiez pas lorsque vous étiez malade?

Je ne supportais pas, je ne supporte pas la cohorte des autrUchiens qui préfèrent ne pas trop réfléchir sur la question, se facilitent la tâche en vous considérant comme guérie à partir du moment où votre aspect physique ne trahit plus la gravité de la maladie et minimisent (pour se rassurer eux-mêmes) les dégâts que génèrent le cancer du sein. Vous n'imaginez pas le nombre de fois où j'ai pu entendre "un cancer du sein? Oh, ne t'inquiète pas. Cela se soigne très bien maintenant!". "De la chimio? Oh, ils ont fait des progrès extraordinaires. C'est beaucoup plus supportables aujourd'hui".

La multiplication des cas de cancer banalise terriblement les discours formatés. Mais ce n'est pas parce qu'une souffrance devient malheureusement commune qu'elle en devient banale et indolore. Tous ceux qui passent par un divorce, devenu monnaie courante dans notre société, vous le diront. Savoir qu'ils partagent l'expérience de cette immense fracture affective avec de plus en plus de monde ne les soulage en rien.
La confusion qui règne dans les médias entre le terme de Guérison et celui de Rémission est aussi un thème qui me rend chatouilleuse, car elle participe à la négation de la souffrance psychologique des cancéreux, qui vivent en permanence avec une épée de Damoclès sur la tête. La propension  qu'ont les gens à se mettre la tête dans le sable dès que l'on prononce le mot cancer n'en est que renforcée.


 - Quel message souhaitez-vous faire passer aux personnes malades d'un cancer ou ayant une personne atteinte dans leur entourage?

Je voudrais leur dire de ne pas céder à la tentation (très forte) de déléguer tous pouvoirs, aveuglément, à leurs équipes soignantes. Ici, on parle de vie et de mort, d'intégrité physique, d'enjeux existentiels. Rester acteur dans le parcours de soins, demander des explications sur la maladie, sur les protocoles, leurs conséquences est primordial. Exiger des médecins qu'ils  décryptent tant que faire se peut leur jargon scientifique indispensable.

Si les patients sont demandeurs, on leur doit des réponses. La maltraitante hospitalière n'est pas toujours volontaire. Elle ne se résume pas aux faits divers sur lesquels se focalisent habituellement les médias. Parfois, seule la course effrénée qui règne dans les couloirs est source de traumatismes indélébiles. Il faut savoir, parfois, arrêter la petite trotteuse et prendre le temps de cette parole qu'il est si facile de réduire à sa plus simple expression dans des services débordés. Etre cancéreux, ce n'est pas devoir, en tout premier lieu, se faire amputer de son libre-arbitre. Même la complexité de cette maladie ne le justifie pas.

- Quel message souhaitez-vous faire passer à nos autorités?

Qu'elles arrêtent de prendre leurs concitoyens pour des billes. Qu'elles cessent de réfléchir à court terme. Dans le livre, c'est sans doute avec les hommes d'état que je suis le plus dure. Non parce que je dénigre le politique. Je suis au contraire une fervente militante du débat citoyen et convaincue de la noblesse qu'implique normalement une vie d'élu.

Ce qui me fatigue, ce sont les manoeuvres politiciennes, les beaux discours destinés à endormir les moutons de Panurge. Notre système de santé souffre, et ce ne sont pas les rustines qui viendront empêcher le naufrage. Le démantèlement sournois de la solidarité nationale en terme de santé m'exaspère. Qu'on appelle un chat un chat. Les attaques répétées contre le statut des Affections Longue Durée montrent clairement qu'on se soucie principalement de la notion comptable tout en voulant rester fort démagogique. La qualité de leur système de santé, c'est la deuxième préoccupation des français. Il me semble indispensable qu'on est le courage de leur dire que des efforts conséquents et ÉQUITABLES devront être fait à l'avenir pour le préserver. Pour l'instant, on bricole, on prend des mesures parfaitement iniques en affirmant qu'elles sont prises pour le bien de tous. J'en doute fort.

Le Blog d'Hélène c'est ICI

Pour commander son carnet de route et en lire les 1ère pages c'est ICI

Le site de l'éditeur c'est ICI

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Commentaires
P
Bjr, vs passez parfois a Paris? Bonne jrnee, Paul. Paris 15e. sainte-marine@hotmail.com.
B
bravo pour le témoignage de cette femme qui parle de son cancer et de sa position de femme.c'est tres fort et merci pour ce témoignage.
F
MERCI à toi de l'avoir lu et d'avoir exprimé ton avis si précieux ! <br /> grosse bise et à bientôt ! J'ai vu que tu avais une interview superbe également, je vais lire ça dés que possible ! ;o)
C
MERCI à vous 2 pour cette superbe interview !
L'Herbe Folle
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